Depuis plus de 20 ans, les Canalisateurs du Sud-Est tirent la sonnette d’alarme pour une gestion durable de l’eau et la mobilisation collective des entreprises, des collectivités locales et du grand public.
Au terme de la 21eme édition Rhône-Alpes des Rencontres Régionales de l’Eau des Canalisateurs du Sud-Est, les Canalisateurs du SUD-EST porte un regard sur l'usage de l'eau.
Notre rédaction vous relaie leurs analyses et conclusions.
Lyon, le 28 novembre 2023
"Avec pour thème de « répondre aux enjeux de l’eau à travers les usages », la 21eme édition Rhône-Alpes des Rencontres Régionales de l’Eau des Canalisateurs du Sud-Est a réuni 175 entrepreneurs, élus locaux, représentants de la maîtrise d’œuvre et maitrise d’ouvrage, à Saint-Vulbas (01) vendredi 17 novembre 2023. Lors de ce rassemblement annuel, qui s’est déroulé en présence de Jean-Louis Guyader, président du Syndicat mixte du parc industriel de la Plaine de l’Ain, président de la Communauté de communes de la Plaine de l’Ain, conseiller régional, et de Marcel Jacquin, maire de Saint-Vulbas, les Canalisateurs du Sud-Est ont rappelé qu’ils sont les partenaires des collectivités dans la transition écologique, engagés pour réduire de 40% leurs émissions de CO2 à horizon 2030 afin d’arriver à la neutralité carbone à horizon 2050.
Dans un contexte climatique qui nécessite d’agir autrement et penser collectivement, Michel Réguillon, président des Canalisateurs du Sud-Est a souligné que la société est à l’aube d’une nouvelle ère pour l’eau. Et cette eau doit être vendue au juste prix, pour investir massivement sur l’ensemble des solutions de préservation et sécurisation de la ressource, nécessaires à cette nouvelle ère : détection de fuites (en France, depuis plus de 10 ans, le taux de fuite est de 25%), renouvellement des réseaux, interconnexions, réutilisation des eaux usées traitées (Reut)…
Recyclage des conduites PVC et éco-comparateur SEVE Canalisations
L’occasion pour la profession, avec pour responsable de délégation Rhône-Alpes Stéphane Graupner, de montrer son engagement pour la décarbonation : utilisation croissante de véhicules à motorisations alternatives, recyclage des terres issues des tranchées et aussi recyclage des chutes de canalisation ! Ce projet pilote, qui a déjà fait ses preuves en Isère, permettra de fabriquer plus de 1 100 km de canalisations par an et d’économiser jusqu’à 500 tonnes de CO2/an.
Le logiciel d’aide à la décision pour réduire les impacts environnement des infrastructures, SEVE Canalisations, sera également mis en ligne dès janvier 2024. Cet éco-comparateur permettra de calculer les émissions de CO2 sur les chantiers avec des variantes, et de faire des comparaisons. Il sera présenté lors du Carrefour des Gestions Locales de l’Eau de Rennes, le 30 janvier 2024.
Des subventions pour… se passer de l’eau, et des redevances basées (enfin !) sur la performance des réseaux
Alors que les élus locaux ont pris la conscience des sécheresses et qu’au rythme actuel, le débit du Rhône pourrait diminuer de -10 à -40% d’ici 2050, Nicolas Alban, directeur de la délégation territoriale de Lyon de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse a rappelé sa très forte mobilisation pour soutenir les collectivités et syndicats de la région dans leurs projets, et pas que pour pallier le déficit d’investissement dans les conduites d’eau… En 2023, 250 millions d’euros ont été attribués dans le cadre du 11e plan, dont 40 millions d’euros pour accompagner les industriels à la sobriété, voire même réfléchir à la suppression de l’eau dans leur process, en partenariat avec la Chambre de commerce et d’industrie de l’Ain et la Chambre de métiers de l’Ain. L’Agence a aussi soutenu des projets d’interconnexion, comme dans le Pays de Gex (01) avec le lac Léman, pour sécuriser les approvisionnements en eau potable, pour un montant de 15 millions d’euros.
Le 12e plan, qui sera adopté fin 2024, veillera à l‘équilibre entre les communes rurales et les métropoles. De concert avec les SDAGE, il apportera une réflexion macro-économique et encouragera les projets qui protègent tout particulièrement la ressource et les usages. La réforme des redevances prévue au récent plan Eau redonnera des moyens à l’Agence de l’eau, avec une indexation dorénavant basée sur la performance des systèmes et services eau et assainissement.
Travailler ensemble pour partager les usages
Alors qu’à Vouglans (39) se pose pour la 1ère fois la question de privilégier le tourisme ou la préservation de la ressource, Alain SICARD, président du Syndicat de la rivière d’Ain aval et de ses affluents (SR3A) souligne l’importance du dialogue entre les départements du Jura et de l’Ain. « Priorité sera donnée à la remise en état du milieu naturel des tourbières du plateau Hauteville-Lompnes (01) qui agissent comme de véritables éponges et qui redonnent l’eau dans les départements du Jura et de l’Ain ».
Par ailleurs, la création d’une cellule « Alerte état de la rivière » a été mise en place. Observés avec attention, les lâchers d’eau EDF font l’objet de décisions concertées entre préfets de l’Ain et du Jura.
En rappelant que les anciens avaient créé des mares artificielles, les gouilles, Jean-Alex Pelletier, président du Syndicat des eaux de Dombes Côtière souligne l’avantage de travailler ensemble, à deux collectivités, Dombes et Côtière. « Comme nous prélevons dans la nappe phréatique de la rivière d’Ain qui est notre source commune, nous devons gérer ensemble ce milieu commun. Nous devons aussi garder l’eau dans le milieu et éviter qu’elle ne reparte trop rapidement à la mer ! ».
S’il n’y a pas de tension pour la nappe de la rivière d’Ain, qui se remplit correctement et depuis peu, irrégulièrement, le Syndicat est toujours en alerte. Par ailleurs, en raison des barrages et des ponts qui retiennent les sédiments en amont, la rivière d’Ain s’enfonce, et la nappe, qui refroidit la rivière l’été, baisse. Une réflexion commune est menée pour augmenter le niveau de la rivière d’Ain.
« En accordant 60 millions € par an aux travaux, la contractualisation est un moyen efficace et collectif qui permet aux syndicats de faire leurs chantiers. On avance ensemble ! » souligne Joël Brunet, conseiller départemental du canton d'Ambérieu-en-Bugey (01) et maire de Château-Gaillard (01) qui a mis en place des QR code pour vérifier le niveau de l’eau en sortie des étangs de la Dombes. Avec la mise en place d’un plan de gestion des eaux sur trois mandats et avec l’appui de l’Agence de l’eau, le rendement du réseau de sa commune de Château-Gaillard (01) est de 92%, soit aussi bien que certaines grandes métropoles !
Ralentir l’eau de pluie au maximum pour qu’elle recharge la nappe phréatique commune à tous
Les agriculteurs de l’Ain gèrent le pompage, le transport ainsi que l’analyse des quantités prélevées et la qualité de l’eau. Ils ont fait de la réduction des prélèvements dans le milieu naturel leur priorité. « Mais nous sommes aujourd’hui incapables de produire sans eau ! » précise Fabien Thomazet, conseiller irrigation de la Chambre d’agriculture de l’Ain, et la hausse des températures ferme la porte à certaines cultures comme le blé, qui grille… et réduit à néant tout l’arrosage…
Alors que le niveau des étangs de la Dombes baisse depuis 4 ans, la gestion par la sobriété est nécessaire mais pas suffisante. « Nous travaillons sur l’infiltration. Les études montrent qu’il n’est pas nécessaire de faire de grand stockage pour recharger les nappes et satisfaire tous les besoins. Avec le changement des régimes des pluies, le premier besoin est de gérer l’eau pluviale, de la ralentir et faire en sorte qu’elle reste dans le sol pour retarder le plus possible son évacuation » souligne le conseiller consulaire.
Encourager la Reut pour réduire de 10% les prélèvements dans les milieux naturels
Avec 10 millions de m3 de Reut (Réutilisation des eaux usées traitées), soit 0,7% du volume total, la France est particulièrement en retard sur le développement de la valorisation des eaux non conventionnelles par rapport aux autres pays européens (2,4% en Europe, 8% en Italie, 14% en Espagne, 80% en Israël). Selon Laetitia SIMONOT qui représente Syntec Ingénierie, les limites actuelles à la Reut sont causées par la faible acceptation des citoyens pour la réinjection de cette eau dans le système ainsi que par la nécessité d'investir dans des traitements qui permettraient d'atteindre une qualité d'eau suffisante pour être potable. Le plan Eau français de mars 2023 prévoit 10% de Reut avec un objectif de 1 000 projets d’ici 2027. Déjà 128 projets sont actuellement à l’étude, dont trop peu en Auvergne-Rhône-Alpes !
La Reut : il faut y aller, ne plus attendre !
La Reut permettra de nettoyer les bennes à ordures ménagères et d’arroser les terrains de foot (qu’un arrêté sécheresse peut rendre irrécupérable…). Mais la Reut fait face à des problèmes d’acceptabilité et de lenteur, en raison du grand nombre d’acteurs qui ont parfois des lectures très différentes, souligne Thierry Kovacs, président de Vienne Condrieu Agglomération, vice-président du conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes et maire de Vienne (38). « Compte tenu du contexte climatique, du prix de l’eau et de l’énergie qui augmente, du décret tertiaire…, il faut y aller ! Pensez prospective, cherchez les subventions de l’Agence RMC, et n’attendez ni de l’Etat, ni des autres acteurs !» ajoute l’élu de Vienne Condrieu Agglomération qui, dotée de la compétence eau et Gemapi a installé, dès 2018, une centrale de production de biogaz à partir du traitement des eaux usées. « Les SCOT et les PLUI permettent de connaitre l’état des lieux et de réfléchir par exemple à l’emplacement de l’atelier municipal qui, pour des raisons pratique d’utilisation de l’eau « Reut », devra être à proximité de la station d’épuration ! ». Le conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes lancera d’ici l’été 2024 des appels à projet pour faire des démonstrateurs finançables, sur la Reut.
La Reut pour arroser les espaces verts et nettoyer la voirie
Engagée dans la désimperméabilisation des voiries et des sols, la ville de Châtillon-sur-Chalaronne (01) vient d’investir dans la construction d’une nouvelle station de traitement des eaux usées (STEU) de type boues activées, avec traitement tertiaire en aval. D’une capacité de 14 500 équivalents-habitants, elle permettra de faire une économie de 5000 m3/an de prélèvement naturel, grâce à la Reut. Dotée d’un système de filtration par UV, l’eau sera de parfaite qualité mais non potable. « La Reut, c’est une somme de petites solutions Reut qui permettent d’économiser 1% de prélèvement dans la ressource par ci et 2 % par-là, pour atteindre au final les 10% d’économie du plan Eau ! » souligne Didier Jaffre, directeur des services techniques, Châtillon-sur-Chalaronne, 1er adjoint de Belleville-en-Beaujolais (69).
La Reut servira par exemple pour la propreté des rues, l’arrosage des fleurs et des espaces verts et permettra de planter 150 arbres/an. « Pragmatisme, diplomatie et expérience de terrain sont nécessaires pour faire face aux méandres des décrets et leur application, qui complexifient la mise en œuvre de la Reut, en plus de son acceptabilité » ajoute Renaud DUMAY, juriste, SAFEGE, maire de Saint-Didier-sur-Chalaronne (01) et vice-président de la Communauté de communes Val-de-Saône Centre.
La Reut met tout le monde autour de la table
La raréfaction de la ressource et le réchauffement climatique permettent de travailler collectivement aux bons messages et d’arrêter les réflexions en silos entre énergéticiens, consommateurs d’eau potable, industriels, agriculteurs et écologistes. « Il n’y a qu’une seule ressource en eau ! » souligne Catherine NEEL, directrice de projets Gestion résiliente des hydro systèmes, CEREMA Centre-Est. « La Reut permet de tout repenser au niveau global, car le niveau de coordination est élevé et l’enjeu de territorialisation est fort. Avec la Reut, tout le monde est autour de la table, et il faut tenir la main des élus pour les aider à décider ! ».
Nous devons aussi nous projeter collectivement dans des nouveaux usages de l’eau. Avec la hausse des températures, les besoins d’évapotranspiration sont estimés à +20% et nous aurons besoin de plus d’eau, avec parfois nécessité de rafraîchir des cultures.
Focus sur le projet Jourdain en Vendée
Unique en France, l’unité pilote de réutilisation des eaux usées traitées Jourdain inaugurée le 16 novembre 2023 aux Sables-d’Olonne (85) présentée par Denis GUILBERT, directeur général des services de Vendée Eau va récupérer les eaux usées, actuellement jetées en mer, pour les réintroduire dans le milieu naturel puis alimenter les stations de pompage et de potabilisation.
Cet investissement de 23 millions d’euros, dont 8 millions d’euros de subventions européenne, régionale, départementale et de l'Agence de l’eau a vu le jour après plus de 10 ans de R&D, d'études techniques, réglementaires et environnementales. D'une capacité de 150 m3/heure, cette usine pilote traite 25% des eaux usées de la station d'épuration voisine du Petit-Plessis, aux Sables d'Olonne qui rejette actuellement 4,5 millions de m3 par an en mer.
Avec un procédé de traitement en cinq étapes : filtration, osmose inverse, ultraviolet, chloration et reminéralisation, plus de 200 molécules visées par les normes françaises sont éliminées, ce qui permet d’éradiquer la pollution particulaire, les bactéries, les virus et les micropolluants, dont les pesticides ou les résidus médicamenteux.
L’eau brute obtenue sera acheminée via une canalisation de 27 km vers la retenue d’eau amont du Jaunay (85) où se situe la station de potabilisation desservant le nord-ouest de la Vendée. Dans trois ans, ce pilote aboutira à l'écriture d'une nouvelle réglementation pour autoriser un modèle industriel dupliquable.
Parler du prix lié aux services de l’eau !
En synthèse de la 21eme édition Rhône-Alpes des Rencontres Régionales de l’Eau des Canalisateurs du Sud-Est, Pierre Rampa, président des Canalisateurs a souhaité avancer 12 pistes de réflexion :
1. Travailler ensemble, collectivement, main dans la main avec les élus locaux pour améliorer l’ingénierie, en particulier pour les territoires ruraux.
2. Le partage de l’eau doit être réfléchi à l’échelle des bassins.
3. Désiloter les sujets pour éviter les conflits d’usage et parler d’eau « multi-usages ».
4. Le département peut-être un bon échelon pour piloter les interconnexions, comme le montre ci et là les assises départementales de l’eau.
5. Ne pas opposer les usages et bâtir des stratégies communes.
6. Continuer à faire de l’infiltration et des économies d’eau.
7. Encourager la Reut.
8. Réfléchir à des grands transferts d’eaux régionaux pour aider, notamment, les régions arides du sud de la France.
9. Faire payer le juste prix de l’eau.
10. Parler du prix lié aux services de l’eau (acheminement, traitement, qualité) plutôt que du prix de l’eau.
11. Acculturer nos concitoyens au sujet de l’eau, pas seulement sur le problème de la ressource mais également sur les services liés à la gestion de l’eau. Les Canalisateurs communiquent sur ces sujets, comme en témoigne la diffusion du livret « L’eau en 5 questions », du « livret bleu » ou encore le livre « Conduites invisibles ».
12. Rendre les métiers de l’eau plus attractifs !
Pierre Rampa, Président des Canalisateurs du Sud-Est, déclare "l’eau cause nationale et donne rendez-vous à la Journée mondiale de l’eau qui a lieu tous les 22 mars". Les Canalisateurs seront particulièrement mobilisés à cette occasion, avec des événements portés dans chaque région."
Source - LES CANALISATEURS - 28-11-2023